Les Juifs d’Europe orientale

L’objet de l’étude (très simplifiée) que nous
réalisons de l’histoire juive vise en fait à bien comprendre comment,
à force de persécutions, on était arrivé à une énorme concentration des Juifs
dans le centre et l’Est de l’Europe :
Les premiers
pogroms russes
Dans la
Russie tsariste, les Juifs ont donc interdiction d’acquérir
des terres, d’intégrer la fonction publique ou d’atteindre un grade d’officier
dans l’armée. L’immense majorité est donc cantonnée aux métiers traditionnels
du commerce, des services, de l’artisanat et de l’industrie. Pour le petit
peuple orthodoxe, le Juif est donc vu comme « l’Autre », qui ne travaille pas
la terre mais se livre à l’usure et au commerce – ce qui est souvent assimilé à
la « spéculation » ou à « l’accaparement », surtout en période de crise ou de
pénurie. Plus fondamentalement, l’antijudaïsme populaire est nourri par la
croyance que le peuple juif était « celui qui avait crucifié le Christ ». A
intervalles réguliers, cet anti-judaïsme, habilement instrumentalisé par les
autorités, remontait à la surface.
L’assassinat du tsar Alexandre II entraîna une
première vague de manifestations anti-juives appelées « pogroms » («
attaque » ou « émeute » en russe), sur une période allant de 1881 à 1884.
Alors que sur le groupe de 15 assassins, 1 seul
était juif, les Juifs sont rendus responsables de cet assassinat. La politique
du gouvernement russe au sujet des Juifs tient dans ce programme : « Un tiers
des Juifs sera converti, un tiers émigrera, un tiers périra ». Lors des
événements de 1881, la centaine de pogroms était principalement limités à la Russie, mais les pogroms se
poursuivirent de façon intensive jusqu’en 1884. La passivité, voire la
complicité des forces de l’ordre permit aux instincts de la populace, avide de
pillage, de se déchaîner tout particulièrement à l’occasion des grandes fêtes
religieuses (pogroms de Pâques de 1882, 1883 et 1884). Si les atteintes aux
biens furent considérables (des dizaines de milliers de magasins pillés), le
nombre de victimes ne dépassa pas quelques centaines.
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carte des progroms russes |
Comme le souligne l’historien Léon Poliakov, il
existait une grande différence entre l’antisémitisme qui sévissait en Europe
occidentale et celui d’Europe orientale. Alors qu’il s’étayait surtout sur des
bases de nature théologique en Allemagne, l’antisémitisme s’enracinait
principalement en Pologne sur des questions sociales – la différence venant du
nombre. Avant même les persécutions et les expulsions, le nombre de Juifs en
Allemagne (et a fortiori en France, Espagne ou Italie) était relativement
modeste (se comptant en milliers) ; les Juifs y jouaient le rôle de bouc
émissaire sans être réellement en position de concurrence économique. En
revanche, en Pologne, Ukraine, Russie occidentale, leur nombre était
considérable (se comptant en centaine de milliers puis millions) ; leurs
voisins s’estimaient ainsi parfois pénalisés par cette situation, ce qui
pouvait décuplait la rancœur, et donc la haine future.
L’émigration et le retour des pogroms
Ces évènements constituent un tournant dans
l’histoire des Juifs de Pologne et à travers le monde, car ces persécutions
entraînèrent une très importante vague d’immigration juive aux États-Unis
(principalement) et dans l’Europe de l’Ouest.
L’émigration a été renforcée par l’expulsion des
Juifs de Moscou en 1890, par la deuxième vague de pogroms de
1903-1906. L’évènement déclencheur est le meurtre en avril 1903 d’un garçonnet
– aussitôt transformé en « meurtre rituel » – près de Kichinev. Quelques jours
plus tard, la foule, à l’occasion de la fête de Pâques, attaque, trois jours
durant les Juifs, les forces de l’ordre restant passives.
Les pogroms
s’amplifient en 1904 et 1905, dans le sillage de la défaite russe dans la
guerre russo-japonaise et la révolution avortée de 1905. Les pires d’entre eux
se déroulèrent sur le territoire polonais où la majorité des Juifs russes
vivaient, en particulier le pogrom de Bialystok en 1906 durant lequel plus de
100 Juifs furent massacrés et de nombreux autres blessés. Les deux seuls
derniers mois de 1905, on recense 650 pogroms, 3 000 victimes, 15 000 blessés.
Pendant la Première Guerre
mondiale, la Zone
perd son emprise rigide sur la population juive quand une grande quantité de
Juifs s’enfuient vers l’intérieur de la Russie pour échapper à l’invasion des troupes
allemandes. 1,5 millions de Juifs ont été déplacés de force en 1915, parfois
par convois ferroviaires dédiés, car ils étaient pour l’armée des espions ou
des traîtres potentiels, puisqu’ils parlaient yiddish, une langue « proche de
l’allemand ». Ces expulsions préventives furent prétextes à une troisième vague
de pogroms, les pillages étant cette fois plutôt le fait de la troupe, qui
acquit alors un sentiment d’impunité quand il s’agissait de « casser du juif ».
Ils étaient attaqués dans des villages où plus aucune autorité n’était capable
d’assurer l’ordre, au prétexte que, se livrant au commerce, ils spéculaient sur
les pénuries. En réalité, l’occasion était trop belle de se livrer impunément
aux pillages, viols et massacres.
La révolution bolchevique de février 1917 mit fin
aux discriminations légales dont souffraient les Juifs. Le 20 mars 1917, la Zone est abolie – une grande
partie de la Zone
deviendra plus tard une part de la Pologne. Le gouvernement provisoire ouvrit aux
juifs l’accès aux postes à responsabilité, et des milliers de Juifs apparurent
donc sur le devant de la nouvelle scène politique.
La guerre civile de 1918-1920
conduit à une troisième vague de pogroms et à des exactions
militaires de grande ampleur.
Les années 1918-1921 des guerres civiles russes
constituent la quatrième vague de pogroms de l’histoire de la Russie moderne, mais le
contexte dans lequel ils ont été commis, leur ampleur sans précédent et leurs
modalités les distinguent radicalement des précédents. Peu étudiés, ils
constituent pourtant les plus grands massacres de Juifs avant le génocide ;
plus de 2 000 bourgades et petites villes furent touchées en Ukraine,
Biélorussie et Russie, faisant au moins 100 000 tués, 200 000 blessés, des
dizaines de milliers de femmes violées, 300 000 orphelins, plus de 500 000
réfugiés – dans une communauté de 5 millions de personnes…
80 % des 2 000 pogroms de ces années ont concerné
l’Ukraine occidentale et 15 % la Biélorussie. Assez rapidement se forme la «
conjonction fatale » entre Juifs et bolchéviques ; pour l’opinion publique,
seuls les Juifs ont tiré profit de la révolution, tous les autres n’en ont
retiré que du malheur. L’intensité du sentiment « Le pouvoir soviétique, ça
pourrait encore aller s’il n’y avait pas des youpins partout » est telle que la
police politique soviétique propose de remplacer d’urgence en Ukraine tous les
communistes juifs ayant des responsabilités par des communistes russes, à
défaut d’Ukrainiens…
Les pogroms perpétrés par l’Armée blanche en 1919
constituent pour beaucoup d’historiens un phénomène radicalement nouveau, fondé
sur un antisémitisme doctrinal exacerbé, devenu « le point focal d’une vision
du monde », faisant par cet aspect du mouvement blanc un mouvement « proto-nazi
». Comme on le constate sur cette affiche de propagande de l’Armée blanche
contre Trotski (« Paix et liberté en Russie soviétique »).
En effet, dans la guerre à mort contre le
bolchévisme, la profonde méfiance vis-à-vis des juifs, déjà enseignée dans les
académies militaires avant 1914 se transforma chez de nombreux officiers blancs
en un antisémitisme d’autant plus virulent qu’il était appelé à expliquer l’inexplicable
: comment la Russie
en était arrivée là où elle était, déchirée, affaiblie, vaincue, en proie au
chaos, livrée à « une bande d’athées assassins et de juifs ». Les prisonniers
de guerre juifs étaient systématiquement exécutés par les Blancs ou les cosaques.
Les pogroms menés par les Russes blancs ont été
les plus organisés, les plus efficaces, les plus motivés idéologiquement, menés
comme des opérations militaires. Par exemple, à Fastov, du 23 au 25 septembre
1919, la brigade cosaque du colonel Belogortsev massacra 1 300 à 1 500 juifs
sur une population de 10 000 habitants. Cependant, l’antisémitisme n’a jamais
été une doctrine officielle du mouvement blanc ; ils devinrent une « habitude
», un « réflexe », une « évidence » aussi limpide que l’égalité «
juif=bolchévique ».
Ainsi, les commandants ukrainiens de l’Armée de la République populaire
ukrainienne Nikifor Grigoriev ravagea par exemple Tcherkassy en 1919 (700
morts) et Nicolas Palienko Jitomir la même année. Celui-ci avait déclaré en
arrivant que l’Ukraine était encerclée de tous côtés par des ennemis – les
Juifs, les Polonais, les Russes, les bolcheviks, les Roumains, les
représentants de l’Entente –, que le bolchevisme était « le fait des youpins »,
que « les youpins ne s’en tireraient pas indemnes », qu’il avait la mission de
rétablir l’ordre à Jitomir, de punir la ville, et que cette punition serait
terrible… En 1939, Palienko rejoignit l’OUN et fut nommé major du bataillon «
Nachtigall » jusqu’en 1942. En 1943, il s’engagea dans la Division SS Galicie,
sous la bannière de laquelle il mourut en 1944.
Soulignons aussi que les Juifs furent aussi
victimes des Ukrainiens – à Proskourof, le commandant Semosenko donna l’ordre «
d’exterminer les youpins, l’ennemi le plus perfide et le plus dangereux du
peuple ukrainien » ; 1 500 Juifs y furent massacrés à l’arme blanche, soit 20 %
de la population. Par groupes de 3 ou 4, les cosaques perquisitionnaient chaque
maison, torturaient leurs victimes jusqu’à qu’elles leur donnent tous leurs
biens précieux, puis tuaient tous les membres de la famille, contraignant
certains à mettre le feu à leur maison et à périr dans les flammes – ce qui
constituait donc une véritable « Aktion de type nazi ».
Ils furent aussi victimes des Polonais et même,
dans une moindre mesure, de troupes de l’Armée Rouge – bref, tous les
protagonistes se sont retournés vers eux.
Comme on le voit, un seuil qualitatif a été
franchi, passant de pogroms limités commis en temps de paix par des voisins
enhardis par la passivité des autorités, à des massacres massifs et
systématiquement mis en œuvre par des unités armées, convaincues de la
nécessité et de la légitimité d’exterminer, sur une base ethnique, des
populations civiles considérées comme ennemies. C’est pourquoi ces pogroms
constituent pour beaucoup d’historiens le « chaînon manquant » qui relie
l’antijudaïsme « traditionnel » des pogroms à la Shoah. D’autant que les
milieux antisémites russes blancs émigrés en Allemagne y ont été
particulièrement influents ; citons notamment la forte influence qu’a eu
l’officier Blanc Fedor Vinberg (qui a traduit en allemand Les Protocoles des
sages de Sion) sur l’idéologue nazi Alfred Rosenberg. L’historien Richard Pipes
estime pour sa part que « la rationalité de l’extermination des juifs par les
nazis leur a été apportée par les milieux de droite russes avec leur théorie
qui liait les juifs au communisme. »
Après la guerre, les pogroms ne cessèrent jamais
vraiment. Ainsi, en Pologne, encore entre 1935 et 1937, 79 Juifs furent tués et
500 blessés dans des incidents anti-Juifs.
À son apogée, la Zone a atteint en 1914 une population juive
supérieure à 5 millions, ce qui représente à cette époque la plus grande
concentration de Juifs au monde, avec près de 50 % de la population juive
mondiale. Et ce malgré l’émigration de 1,5 millions de Juifs entre 1861 et
1914.
Au final, à la fin des années 1920, près de 2
millions de Juifs ont quitté la zone de résidence pour les États-Unis ; en
France, la population juive passe de 60 000 en 1882 à 120 000 en 1914. On
considère que les pogroms sont un des facteurs déterminants de l’émergence du
sionisme.
La Seconde guerre mondiale et la Shoah
En 1930, les 15 millions de juifs se répartissent
principalement en : 4 millions aux États-Unis, 3 à 3,5 en Pologne, 2,6 en URSS
et 850 000 en Roumanie.
On connait la suite durant la guerre…
En 1945, 90 % des 3,3 M de Juifs polonais ont
été exterminés, et 32 % des 3,1 millions de Juifs russes.
La naissance d’Israël
Au lendemain de cette tragédie, l’État d’Israël
voit le jour le 14 mai 1948.
Très vite, un flot d’immigration soutient sa
croissance démographique.
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L’immigration en provenance d’Europe (1945-1970) |
Entre 1948 et 2012, il y a ainsi eu plus de 3
millions d’immigrés, dont 1,2 million en provenance de l’ex-URSS, 0,6 de
l’Europe, 0,5 de l’Afrique, 0,5 de l’Asie et 0,2 des Amériques.
Quelques
statistiques…
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L’immigration en provenance des pays arabes (1948-1975 |
En 2012, soixante-cinq ans après la fin de la
guerre, les conséquences démographiques sont encore sensibles : quand la
population mondiale a quadruplé, la population juive mondiale n’atteint pas le
niveau qu’elle avait en 1940. Au lieu de 60 % de la population juive mondiale,
10 % seulement vivent en Europe (1,3 million) où la communauté la plus
importante est celle de France.
(1) note
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