Les frontières en Afrique
On estime que 70 % des frontières
africaines telles qu’on les connaît aujourd’hui furent définies sans
concertation avec les populations concernées, entre la conférence de Berlin et
la fin de la première décennie du XXe siècle.
Si ce découpage colonial n’explique pas tous les problèmes actuels de l’Afrique, il n’en reste pas moins vrai que les États africains ont hérité de frontières marquées du sceau des rivalités et des intérêts des anciennes puissances coloniales.
Si ce découpage colonial n’explique pas tous les problèmes actuels de l’Afrique, il n’en reste pas moins vrai que les États africains ont hérité de frontières marquées du sceau des rivalités et des intérêts des anciennes puissances coloniales.
Dès les tout premiers contacts au XVe
siècle, les armateurs européens installèrent surtout des comptoirs
commerciaux sur les côtes africaines. Ces comptoirs, qu’on appelait
aussi factoreries, étaient quasi exclusivement dédiés au commerce. Mais
au début du XIXe siècle, ces établissements vont évoluer pour
devenir de véritables colonies. Alors que sous l’Ancien régime, la
France n’avait presque pas de colonies – à quelques exceptions près,
comme Saint-Louis – elle va transformer ses comptoirs du Sénégal en
plantations. Celles-ci impliquaient notamment la présence de colons,
c’est-à-dire des populations métropolitaines qui s’expatriaient, pour
cultiver des terres supposées vacantes. Cet expansionnisme colonial
s’exacerba, avec en particulier la rivalité qui opposait alors les
Marines anglaise et française. Ces deux pays n’avaient cependant pas
toujours les moyens d’affirmer leur puissance en s’arrogeant ainsi de
vastes territoires à l’étranger, d’où le recours au système du
protectorat, bien plus économique que la colonie. Car celle-ci supposait
en effet l’installation sur place d’une administration, qu’il fallait
ensuite entretenir.
L'exploration
du continent
Dans la seconde moitié du XIXe siècle,
cette réaffirmation de la puissance va aussi passer par l’organisation de
grands voyages, qui en France furent l’œuvre d’officiers de marine, et parfois
d’explorateurs intrépides comme Paul
Belloni du Chaillu, ou encore le docteur Griffon du Ballay. Après sa
victoire lors de la guerre franco-prussienne, l’Allemagne se lança à son tour
dans cet expansionnisme, en allant notamment à la conquête du Gabon. Il y eut
d’abord le professeur Oskar Lenz, qui parcourut les bassins de l’Ogooué, puis,
entre 1879 et 1885, le botaniste Hermann Soyaux qui dirigea une plantation de
café de la maison Woermann. Mais côté français, l’histoire retiendra surtout
les voyages de Pierre Savorgnan de Brazza. Entre 1875 et 1885, ce dernier
fit trois expéditions dans cette Afrique centrale, en partant de Libreville (la
capitale actuelle du Gabon). Son ultime voyage aboutira à la création des
colonies du Gabon et du Moyen-Congo, l’actuel Congo-Brazzaville. À l’époque,
les puissances européennes espéraient réaliser d’importants profits en se
constituant des empires coloniaux. D’autant qu’en métropole, la surproduction
poussait certains à privilégier les investissements outre-mer.
La multiplication des conflits
Mais
sur le terrain, les conflits se multiplièrent. La « course au Nil »
faisait rage : toutes les puissances coloniales européennes –
Grande-Bretagne, France, Italie et Belgique – souhaitaient effectivement
remonter les sources du fleuve, pour le contrôler ou pour créer une
liaison entre leurs différents territoires. Ainsi, le Royaume-Uni
voulait établir une liaison entre l’Egypte et les territoires qu’il
contrôlait en Afrique orientale. Quant à la France, elle voulait rallier
ses possessions en Afrique du Nord tout en s’octroyant une façade
maritime vers l’Est, qui lui aurait permis de disposer d’une liaison
entre l’Atlantique et la Mer Rouge. Un autre conflit, franco-belge
celui-là, portait sur le bassin du Congo, car les Belges disputaient en
effet aux Français les territoires qu’ils occupaient sur les rives du
fleuve Congo. Mais dans la même région, les Portugais avaient également
des revendications territoriales.
La conférence de Berlin et le tracé des frontières
Afin
de répondre à leurs ambitions commerciales, les Allemands profitèrent
de ce conflit pour négocier avec la Belgique et la France, et ce sont
finalement les Français qui demandèrent au chancelier Otto Von Bismarck
de présider à Berlin une conférence internationale destinée à régler ces
différends territoriaux. Les délégations de quinze pays, dont le
Portugal et l’Angleterre, se réunirent donc dans la capitale allemande
du 15 novembre 1884 au 22 février 1885. Outre le partage de l’Afrique
auquel elles procédèrent alors, les puissances coloniales mirent sur
pied un « droit international de la colonisation ». Cependant, les
ambitions étaient si fortes que la course au Nil se poursuivit, jusqu’à
la fameuse crise de Fachoda
en 1898. Cette crise diplomatique, qui a failli dégénérer en
affrontement armé entre le Royaume-Uni et la France, a non seulement
modifié à jamais le cours de l’histoire des régions d’Afrique centrale,
mais fut aussi l’un des signes annonciateurs des futurs conflits
européens et mondiaux. Surtout, on estime que 70 % des frontières
africaines telles qu’on les connaît aujourd’hui furent définies entre la
conférence de Berlin et la fin de la première décennie du XXeme siècle.
Si l’on s’inscrit dans le temps long de l’histoire, il apparaît que ces frontières ont été fixées assez rapidement et par des forces politiques extérieures à des populations alors sous domination étrangère. Et au moment des indépendances, les jeunes États africains héritèrent de toute cette histoire, et donc des frontières marquées du sceau des rivalités et des intérêts des anciennes puissances coloniales.
D’ailleurs, très vite, en 1964, la toute jeune Organisation de l’unité africaine (OUA) érigea en dogme le principe d’intangibilité des frontières, car elle souhaitait ainsi prévenir les conflits interétatiques. Mais pendant longtemps ce découpage colonial a cristallisé les critiques. Beaucoup considéraient en effet qu’il avait divisé des espaces de vie et des aires linguistiques homogènes de manière totalement arbitraire – les plus radicaux allant même jusqu’à considérer que les frontières constituaient le problème fondamental de l’Afrique. Non seulement cette hypothèse est simpliste, mais en plus il est assez largement admis que les frontières ne coupent pas toujours des espaces homogènes.
Cela étant dit, il n’en reste pas moins que c’est à Berlin que les choses se sont décidées, sans la présence des populations concernées. Et le fait que les tracés frontaliers aient pu ensuite respecter des frontières précoloniales – voire des aires sociales et linguistiques – ne change pas fondamentalement les choses. Car en plus de servir leurs intérêts, les puissances coloniales réglaient aussi leurs rivalités en Afrique en se faisant la guerre ou en s’échangeant des territoires en fonction de l’importance économique qu’ils représentaient pour eux. Ceci constitue l’un des dénominateurs communs à l’ensemble de l’Afrique.
L’une des conséquences est qu’après les indépendances, la France par exemple a continué d’appliquer le vieux principe de « diviser pour mieux régner », en empêchant directement ou indirectement la formation de fédérations d’États telles que les réclamaient certains dirigeants panafricanistes.
Si la fédération du Mali a échoué, c’est certes à cause des rivalités
personnelles, mais aussi parce que l’ancienne puissance coloniale
craignait d’y perdre en influence. En Afrique centrale, la France
n’aurait pas davantage accepté de voir le Cameroun et le Gabon former
une fédération.
On sait aujourd’hui qu’après la perte de l’Algérie, De Gaulle n’avait qu’une obsession : assurer l’indépendance énergétique de la France. Le pétrole gabonais lui assura une alternative, et dès lors, tout fut mis en œuvre pour y maintenir une stabilité politique. D’ailleurs, le choix d’Ahmadou Ahidjo comme premier président de la toute nouvelle République du Cameroun répondait à une logique similaire. Mais là, les grands moyens furent employés pour écraser l’opposition camerounaise. Une véritable guerre civile commença avant l’indépendance et ne connut son épilogue que bien des années plus tard, avec des dizaines de milliers de victimes.
Cette politique menée par la France au sein de ce qui avait constitué son empire colonial – baptisé plus tard Françafrique – n’est en quelque sorte qu’un prolongement de ce qui existait sous la colonisation avec notamment les sociétés concessionnaires. Mais il y a une différence de taille : l’existence d’une classe dirigeante locale prédatrice, qui dans ces deux pays a servi les intérêts français.
On sait aujourd’hui qu’après la perte de l’Algérie, De Gaulle n’avait qu’une obsession : assurer l’indépendance énergétique de la France. Le pétrole gabonais lui assura une alternative, et dès lors, tout fut mis en œuvre pour y maintenir une stabilité politique. D’ailleurs, le choix d’Ahmadou Ahidjo comme premier président de la toute nouvelle République du Cameroun répondait à une logique similaire. Mais là, les grands moyens furent employés pour écraser l’opposition camerounaise. Une véritable guerre civile commença avant l’indépendance et ne connut son épilogue que bien des années plus tard, avec des dizaines de milliers de victimes.
Cette politique menée par la France au sein de ce qui avait constitué son empire colonial – baptisé plus tard Françafrique – n’est en quelque sorte qu’un prolongement de ce qui existait sous la colonisation avec notamment les sociétés concessionnaires. Mais il y a une différence de taille : l’existence d’une classe dirigeante locale prédatrice, qui dans ces deux pays a servi les intérêts français.
Les frontières ne constituent pas l'unique problème des pays africains
Mais
justement, il serait réducteur de considérer que les frontières
constituent l’unique problème des pays africains. D’ailleurs, les
conflits frontaliers entre États se règlent plus souvent devant la Cour
internationale de justice, comme ça été le cas entre le Cameroun et le
Nigéria au sujet de la péninsule de Bakassi. Le différend entre le Gabon et la Guinée équatoriale au sujet de l’île de Mbanié a aussi emprunté les mêmes voies légales.
Dans leurs frontières telles qu’elles existent actuellement, les pays africains sont davantage confrontés à l’absence d’État, d’institutions viables et démocratiques et d’hommes capables d’impulser une gouvernance soucieuse de l’intérêt collectif. Certes, on peut aussi ajouter à cette liste la trop petite taille de certains pays, leur pauvreté ou encore leur enclavement. Car comme disait l’ancien président béninois Emile Derlin Zinsou en référence à l’échec regrettable, selon lui, de la Fédération du Mali : « Quand on est premier de rien, on n’est pas premier, on est rien ». Autrement dit, les grands ensembles pourraient avoir l’avantage d’agréger leurs forces tout en mutualisant leurs faiblesses. Mais des exemples comme ceux de Hong-Kong, voire de la Corée du Sud, montrent que dans la longue marche vers le développement, la taille ne constitue pas un paramètre rédhibitoire.
Dans leurs frontières telles qu’elles existent actuellement, les pays africains sont davantage confrontés à l’absence d’État, d’institutions viables et démocratiques et d’hommes capables d’impulser une gouvernance soucieuse de l’intérêt collectif. Certes, on peut aussi ajouter à cette liste la trop petite taille de certains pays, leur pauvreté ou encore leur enclavement. Car comme disait l’ancien président béninois Emile Derlin Zinsou en référence à l’échec regrettable, selon lui, de la Fédération du Mali : « Quand on est premier de rien, on n’est pas premier, on est rien ». Autrement dit, les grands ensembles pourraient avoir l’avantage d’agréger leurs forces tout en mutualisant leurs faiblesses. Mais des exemples comme ceux de Hong-Kong, voire de la Corée du Sud, montrent que dans la longue marche vers le développement, la taille ne constitue pas un paramètre rédhibitoire.
Christian Éboulé
Journaliste camerounais chroniqueur à SlateAfrique.